Rudy Martel

Créateur de livres sonores depuis plus de trente ans benjamins media est une maison d’édition spécialisée dans le son. Pour les déficients visuels, enfants ou adultes, elle réalise des versions de ses livres en braille et en gros caractères. Certains de leurs titres sont même disponibles en langue des signes. Elle anime également des ateliers pour enfants et bien trop de choses pour toutes les énumérer en quelques lignes. Son éditeur Rudy Martel a accepté avec beaucoup de gentillesse de répondre à mes questions.

Rudy Martel
Atelier « J’écoute dans le noir »

Delphine Bourbon : Pouvez-vous présenter votre rôle au sein de benjamins media et me présenter votre équipe ?

Rudy Martel : Je suis directeur des éditions benjamins media depuis 3 – 4 ans et éditeur dans la maison d’édition depuis près de 17 ans. Nous sommes trois à travailler ici. Moi-même en temps que directeur et responsable de la ligne éditoriale, Ludovic Rocca en tant que réalisateur sonore, c’est un peu l’artiste de la maison, et Brigitte Hery, comptable, chargée de la distribution… nous travaillons aussi avec des ingénieurs du son, auto-entrepreneurs, puisque l’entreprise a trois activités principales : la réalisation et l’édition de livres sonores pour enfants, trois ateliers (« j’écoute dans le noir », « Ramdam » et « Jeux tactiles, tu tactiles ») et une activité de prestation studio depuis 3 – 4 ans. Ce que nous faisons pour nous, nous le proposons également pour des éditeurs qui le demandent. Nous éditons ainsi des livres sonores pour adultes pour Audible ou des livres sonores pour enfants pour Talents Hauts. Pour ce travail, puisque nous manquons de temps en interne, nous faisons appel à des auto-entrepreneurs spécialistes du son (ils viennent généralement de l’école, ACFA) : Bastien, Antonin et Adrien. Ce sont des cadors dans leur métier.

DB : Vos cinq collections de livres sonores (CD et MP3) également accessibles en braille, s’appelle taille S, taille M, taille L, Carrégaufré et ZimBamBoum. Pouvez-vous me les présenter ?

RM : ZimBamBoum est une collection qui a été créée à la demande de l’auteur-illustrateur Édouard Manceau et qui a été arrêtée à sa demande également. Édouard devait respecter un cahier des charges assez précis puisque ZimBamBoum est une fabrique à chansons. L’idée était que le lecteur-auditeur puisse assister à la création d’une chanson avec l’album. Il y a deux titres au catalogue, Dans tes bras avec le groupe Pop Scotch & Sofa et La Petite Trouille avec le chanteur Alexis HK. Dans chaque album, le chanteur et un enfant collectent des ingrédients sonores pour concocter une chanson sur le thème de la douceur, dans Dans tes bras et sur le thème de la trouille, dans La Petite Trouille. Pour moi c’était une super collection, mais dans laquelle Édouard se sentait un peu « prisonnier » et après avoir sorti deux titres, nous avons décidé de l’arrêter. Pareil pour Carrégaufré, qui est une collection qui avait été créée pour les trente ans de benjamins media. Nous avions décidé de mixer deux spécialités de la maison d’édition, à savoir le son et le relief, en proposant un livre accordéon en papier gaufré, un livre sans texte à lire avec les mains et un code de téléchargement. Mais le livre n’a pas eu de succès escompté. Je pense que nos lecteurs ne s’y sont pas retrouvés et qu’ils ont été un peu perturbés par le produit. Il reste les trois fameuses collections S, M, et L. S (Small) ce sont des livres pour les tous petits, c’est-à-dire à partir de 1 an jusqu’à 3 – 4 ans à peu près, (pour des enfants de halte-garderie, maternelle), M (Medium) pour les moyens, des enfants à partir de 3 ans jusqu’à 5 – 6 ans (en maternelle) et L (Large) pour les grands à partir de 6 – 7 ans (pour des enfants d’école primaire, bons lecteurs). Et pour chaque catégorie l’histoire est interprétée, mise en musique et mise en son.

Couverture du livre CD et livre braille Un chat dans la gorge

DB : En tant qu’infographiste, j’ai une question toute particulière. Comment vos livres en braille sont mis en page et imprimés ?

RM : Comme nous sommes que trois, nous sommes polyvalents, c’est la raison pour laquelle je dirige le projet, je cherche des auteurs, des illustrateurs, je dirige les auteurs, les illustrateurs et je fais des ateliers. De la même façon, Ludovic qui est le réalisateur sonore est également le graphiste de la maison, il met en page les albums. Les livres en braille sont imprimés par AVH (L’Association Valentin Haüy) à Paris. C’est un transcripteur braille qui a des machines spécialisées et du papier adapté, avec un grammage et un grain particulier. Il faut qu’il soit doux au toucher. Pour l’impression des livres en noir (c’est ainsi que nous appelons les livres encrés dans le milieu de l’édition adaptée), nous travaillons depuis de nombreuses années maintenant avec PBtisk, un imprimeur qui se trouve à Prague, et qui imprime nos livres sur du papier offset.

DB : J’ai constaté sur votre site que vos livres étaient progressivement adaptés au format numérique. Avez-vous décidé de faire des livres numériques pour répondre à une demande de votre clientèle ?

RM : Non, en fait ils ont été adaptés au format numérique mais ils ne le sont plus. Avant que je ne reprenne la direction de la maison, benjamins media souhaitait diversifier le lectorat ; le catalogue devait également s’adresser à des enfants sourds et malentendants, des enfants dyslexiques… On a donc diversifié les supports. Mais à mon arrivée à la tête de benjamins media, j’ai décidé de recentrer notre activité sur notre cœur de métier qui est de proposer des livres sonores pour enfants ordinaires et déficients visuels. Notre spécialité est le son, c’est pour cela que nous avons développé un pôle studio de manière conséquent, et notre particularité est de proposer pour chaque titre une option en braille et en gros caractères.

Couverture du livre Tout (ou presque) sur les bisous volants

DB : Comment travaillez-vous avec les compositeurs, les musiciens et les réalisateurs sonores ?

RM : Il n’y a pas deux projets qui se ressemblent. Tout peut partir d’un texte ou d’un projet texte et image ou encore d’un projet texte, image et musique. Cela dépend. Par exemple, si je parle de la production de cette année 2020, j’ai sorti au mois de février un livre qui s’appelle Tout (ou presque) sur les bisous volants illustré par Régis Lejonc. Ce projet de livre au début était un spectacle qui a tourné pendant un été. On m’a invité à assister au spectacle, je l’ai adoré et proposé qu’on en fasse un livre. Le spectacle était écrit par Annie Agopian et déjà illustré par Régis Lejonc puisque c’était une lecture animée. Donc là, tout partait d’un spectacle, si vous voulez, le livre était quasiment livré, prêt à l’emploi. Il y avait déjà de la voix, de l’image et de la musique. Début juin (le livre devait sortir en avril mais la publication à dû être retardée avec le confinement), je sors un autre livre qui s’intitule Un chat dans la gorge. Pour celui-là je suis parti d’un texte d’Émilie Chazerand qui souhaitait travailler avec Amandine Piu et la musique a été piochée dans le répertoire d’un éditeur à la discrétion de Ludovic Rocca. Donc, là, Ludovic a eu un gros travail de mise en forme sonore à faire, contrairement au livre Tout (ou presque) sur les bisous volants où tout avait déjà été fait par les artistes du projet.

DB : Des éditeurs vous font confiance pour que vous adaptiez leurs ouvrages en livres sonores. Comment avez-vous été amené à travailler avec d’autres éditeurs ?

RM : Notre tout premier client fut Le navire en pleine ville. Cette maison d’édition a cessé ses activités depuis, mais c’est elle qui nous a lancé dans la prestation studio extérieure. D’autres éditeurs nous ont fait confiance depuis, comme Alzabane Éditions, Talents Hauts, Audible qui est un très gros client avec qui les négociations ont duré un à deux ans avant d’aboutir sur un contrat. Dernièrement, ce sont les éditions Soladar, dirigées par Philippe Montel, qui nous ont demandé de mettre en forme sonore un de ses romans : Le tourbillon des anciens, tome 1.  Il y a même des particuliers qui nous demandent de mettre en voix des textes, comme Odile Huet qui nous a demandé d’enregistrer les deux biographies qu’elle a écrites sur ses parents. Elle souhaitant que sa tante, qui ne pouvait pas les lire, puisse les écouter…

DB : Et cela vous arrive encore de démarcher des maisons d’édition ?

RM : Non, nous ne démarchons plus. Les éditeurs viennent à nous, c’est peut-être un peu prétentieux de dire ça, mais c’est vrai. Et c’est là même chose pour les projets. À un moment donné nous étions amenés à adapter des contes traditionnels parce que nous manquions de textes et nous devions démarcher également des clients pour le pôle studio. Puis la tendance, avec les années, s’est inversée ; aujourd’hui on vient à nous et je n’ai plus de difficulté à trouver de bons projets de livres, ni de clients pour le pôle studio.

DB : Pour quelles raisons vos postes de réalisateur sonore, graphiste et comptable sont en interne et à l’inverse pour quelles raisons vos postes d’ingénieurs du son sont en externe ? Quels sont les avantages que votre organisation vous apporte ?

RM : Il faut faire le distinguo entre les ingénieurs du son et le réalisateur sonore Ludovic Rocca. Les ingénieurs du son sont des entrepreneurs qui travaillent pour nous en tant que prestataires de services (ils nous facturent leur prestation) pour Audible et Ludovic qui est salarié de benjamins media est chargé, à plein temps, de mettre en forme sonore nos histoires. Nous avons toujours eu un réalisateur sonore en interne car le son est notre spécialité et doit être adapté aux oreilles des déficients visuels. C’est pour cela que ce poste ne sera jamais externalisé. Un autre studio ne peut pas faire ce que nous faisons puisque nous le faisons pour des déficients visuels, ce qui est unique en Europe. Autrement, comme Brigitte fait plus que de la compta (elle est également chargée de la distribution, du suivi de la clientèle…), nous n’avons pas externalisé son poste. Nous sommes tous les trois polyvalents et autonomes. La structure hiérarchique n’est pas pyramidale. Je nous vois plus comme des associés.

DB : Vous faites également des coloriages, des affiches et des fonds d’écran. Cela vous sert-il pour promouvoir vos livres ou est-ce indépendant ?

RM : Non c’est vraiment pour rendre service aux écoles et aux enseignants. C’est plus pour proposer un panel d’informations complet. C’est à des enseignantes que nous confions le soin d’imaginer et de réaliser les dossiers pédagogiques. Elles savent de quoi elles parlent !

DB : Justement j’avais constaté sur votre site que vous travaillez en partenariat avec des enseignants. Comment travaillez-vous avec eux ?

RM : Par un lien direct et un lien indirect. Pour le lieu indirect, nous avons un diffuseur qui diffuse nos livres en librairie (jeunesse ou général) et nous avons également des diffuseurs spécialisés comme Ludic qui diffusent et distribuent nos livres dans les écoles. Pour notre lien direct, il nous arrive de proposer pour certains projets de livres assez typiques, des dossiers pédagogiques comme par exemple pour Le monstre mangeur de prénoms ou encore Le bruit des lettres et prochainement pour Le bruit des nombres. Ce sont des livres dont nous pressentons la puissance pédagogique. Sans être des livres pour enseignants, on sait qu’ils seront particulièrement adaptés aux enseignements en maternelle. Autre lien direct : il y a parmi les administrateurs de benjamins media, qui est, je le rappelle, une association de loi de 1901, des enseignants en maternelle, des éducatrices jeunes enfants, etc. Grâce à eux, benjamins media entretient un rapport privilégié avec le monde de l’école.

DB : J’ai constaté sur votre site que vous proposez des ateliers aux enfants. Pouvez-vous m’en dire quelques mots ?

RM : Il est vrai que nous proposons des ateliers depuis une quinzaine d’années. L’atelier historique de benjamins media est « j’écoute dans le noir ». Les autres ateliers sont venus ensuite étoffer le panel. Ces ateliers sont toujours conçus pour prolonger notre démarche éditoriale. « J’écoute dans le noir » nous permet de développer les capacités d’écoute, de synthèse et de restitution des enfants, puisqu’en les plongeant dans le noir nous les amenons à développer leur sens de l’écoute. Cet atelier fait écho à notre démarche de création d’atmosphères sonores qu’il y a dans nos livres. « Jeux tactiles, Tu tactiles » amène l’enfant à concevoir une image suffisamment stylisée pour, qu’une fois mise en relief, elle soit reconnue avec les doigts. Cet atelier est rattaché aux livres en braille et aux pages de jeux en relief que l’on propose parfois dans les livres en braille de la collection Taille M. Et pour notre troisième atelier « Ramdam », nous partons d’un scénario sonore original que nous mettons ensuite en forme sonore. Ils sont tous rattachés soit à notre spécialité qui est le son, soit à notre particularité qui est le relief.

Atelier « Jeux tactiles,
tu tactiles »

DB : Pour finir, avez-vous des projets ?

RM : Pour les ateliers, pour le moment je n’ai pas de nouveaux projets. Pour les livres, oui, puisque c’est vrai que toute l’année nous avons de nouvelles sorties. Maintenant, nous sortons cinq livres par an. Quand j’ai commencé à travailler dans la maison d’édition, nous n’en sortions qu’un par an. Donc des projets de livres nous en avons tout le temps. Je cherche également à développer le pôle studio, depuis que j’ai repris les rênes de benjamins media et c’est un objectif que j’ai tout le temps en tête. Donc ma réponse à votre question serait là, je souhaite développer davantage le pôle studio ou alors le conforter.


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