Thierry Magnier

Thierry Magnier ne dirige pas moins de quatre maisons d’édition : Actes Sud Junior, Thierry Magnier, Rouergue jeunesse et Hélium. La majorité des ouvrages qu’il édite sont des livres de création. Il a le souci de faire des livres intelligents pour enrichir l’esprit des enfants. Malgré un emploi du temps très rempli, il a eu la gentillesse de m’accorder une interview.

Thierry Magnier

Delphine Bourbon : Parlez-moi de votre parcours ?

Thierry Magnier : J’ai commencé par enseigner le français, ensuite j’ai fait des études de psychopédagogie, par la suite j’ai été libraire, puis journaliste. J’ai été directeur de publication pour des groupements de libraires, après cela j’ai travaillé chez Gallimard Jeunesse. J’ai beaucoup appris pendant cinq ans avec Pierre Marchand qui était le découvreur de Gallimard Jeunesse ; quand il a commencé dans les années 80 c’était le pape de la littérature jeunesse. Il m’a formé, avec plaisir, et au bout d’un moment je me suis dit que je pouvais être moi-même éditeur. Donc, j’ai créé en 1997 ma maison d’édition qui porte mon propre nom et ensuite, au bout, de quelques années Françoise Nyssen m’a appelé pour reprendre la direction d’Actes Sud Junior sur quoi j’ai beaucoup réfléchi, en me disant que c’était une bonne chose de s’associer à d’autres maisons pour être encore plus solide. Par la suite, est arrivé Rouergue Jeunesse dont je m’occupe également et plus récemment Hélium.

DB : Comment organisez-vous vos journées entre ces quatre maisons d’édition ?

TM : Vous devriez regarder mon planning, c’est terrible. C’est beaucoup de réunions, beaucoup de discussions, de passer d’une maison à l’autre, d’un éditeur à l’autre, en essayant de faire en sort, que ce ne soit pas du Magnier partout et que chacun est son identité. Et heureusement que toutes ces maisons ont de bons éditeurs qui ont une ligne que je respecte totalement et ça me permet d’avancer. Sinon, tout seul, je ne pourrais pas. C’est vraiment un travail d’équipe, il y a une trentaine de personnes qui travaille autour de ces maisons et c’est important d’avoir l’écoute de tout le monde, tout en gardant les lignes éditoriales et de faire attention, évidement, à faire en sorte que ces maisons continuent à bien vivre et à ne pas faire n’importe quoi.

DB : Quelles sont justement, les lignes éditoriales de chacune de ces quatre maisons d’édition ?

TM : Les lignes éditoriales se voient en regardant nos catalogues. La différence peut être chez Actes Sud Junior qui a un département documentaires qui n’existe pas ailleurs. Pour le reste ce sont des auteurs qui ont l’habitude de travailler avec ces éditeurs. Chez Hélium c’est très graphique, pop-up. Chez Rouergue c’est un peu plus militant, parfois, par rapport au choix des textes. Les quatre vont quand même vers la même chose, c’est-à-dire ne pas prendre les enfants pour des imbéciles, avec des livres de création puisque 80 % de nos ouvrages sont des livres de création. Des ouvrages vraiment travaillés avec un souci d’ouvrir, un petit peu, les œillères des enfants, de leurs proposer autre chose que de la « soupe » et de faire des livres intelligents pour des enfants intelligents et que l’on ne respecte pas forcément.

DB : Faites-vous appel à des infographistes indépendants à vos maisons d’édition pour la mise en page de vos livres et quels avantages cela vous apporte?

TM : En ce qui concerne Actes Sud nous avons un studio graphique en interne et tout est réalisé en interne. Pour les autres maisons, chez Rouergue c’est Olivier Douzou qui effectue les mises en page, chez moi nous avons deux personnes qui travaillent avec moi depuis plus de vingt ans, en qui j’ai une totale confiance et pour finir chez Hélium il y a également un directeur artistique en interne qui s’occupe de tout ça. Après il nous arrive de faire appel à des personnes en externe quand nous avons des urgences. Mais il est vrai que la fidélité est importante, surtout dans l’image d’une maison, ce n’est pas possible de prendre un graphiste différent sur chaque livre, mais de temps en temps, c’est bien d’avoir des idées nouvelles.

DB : La gestion budgétaire est-elle la même dans les quatre maisons d’édition ?

TM : Elle devrait être absolument partout la même puisque c’est une gestion d’entreprise. L’idée c’est qu’il y est une rentabilité. Ce qu’il faut savoir c’est que pour nous, éditeur de création, la rentabilité n’est pas comme dans des grosses machines où il y a des produits dérivés, des achats, des grandes ambitions médiatiques… Nous sommes dans une structure beaucoup plus artisanale, mais il ne faut, quand même pas, faire n’importe quoi, il faut équilibrer les budgets et, de temps en temps, faire des choses un peu plus simple, pour engranger un peu d’argent afin, justement, de pouvoir utiliser cet argent pour risquer des choses, parce qu’un des premiers rôles d’un éditeur c’est de prendre des risques. Cela peut être des risques politique, économique (faire un livre cela coute cher), idéologique… et pour avoir cette liberté totale, il faut avoir une liberté économique. Si nous ne l’avons pas, nous sommes amenés à faire un peu n’importe quoi pour faire de l’argent. Hors, moi, mon idée c’est de ne surtout pas faire n’importe quoi pour faire de l’argent, cela est lamentable. L’intérêt c’est de faire des ouvrages que nous défendrons jusqu’au bout.

DB : Avez-vous des budgets annuels ou par projet ?

TM: Nous avons un budget annuel. Chaque année nous nous réunissons aux alentours d’octobre, novembre. Nous faisons un budget pour l’année et, par la suite, chaque livre a un compte d’exploitation.

DB : Je suppose que ce n’est pas le même budget pour chaque livre.

TM: Quand il s’agit du noir, c’est-à-dire d’un roman, c’est un peu toujours les mêmes choses, au niveau de l’économie. Il y a seulement le nombre de pages qui change, ça reste toujours du noir et blanc donc c’est équivalent. En ce qui concerne les albums dans les quatre maisons, chaque album est une chose différente, c’est-à-dire que l’objet est différent. À partir du moment où l’objet est différent, nous nous posons plusieurs questions : « Est-ce que nous allons le faire en carton ou en papier, en grand format ou en petit format ? Est-ce que nous allons mettre de la toile ? Est-ce que nous allons mettre du vernis ?… » Donc chacun des livres est différent.

DB : Y a-t-il des différences dans votre façon de diriger les quatre maisons d’édition ?

TM : Non, il n’y a pas de différences. J’ai la responsabilité des quatre maisons au même titre, donc, à moi de faire en sorte que les gens travaillent dans le bon sens. Mais encore une fois, cela est un travail d’équipe, je ne fais pas tout ça tout seul, donc effectivement ce sont des discutions avec les éditeurs, avec les auteurs pour faire du livre la plus belle chose au monde parce qu’un éditeur réalise toujours les plus beaux livres du monde, du moins il a toujours cette impression et heureusement d’ailleurs, parce que si nous commençons à dire : « Je n’aime pas ce livre mais je vais le publié ». ce n’est pas possible, nous avons énormément de projets qui arrivent. Nous choisissons et, à partir du moment, où nous choisissons nous le défendons jusqu’au bout et nous nous ne disons jamais : « On s’en fiche ». Ce n’est pas vrai. Si nous faisons ça, nous ne tenons pas deux ans. Nous devons tenir une image et une économie. Il faut faire en sorte que ces deux choses puissent vivre ensemble sans provoquer de changement de cap dans ce que l’on veut défendre.

DB : Avez-vous quelque chose à ajouter ?

TM : Ce qui est vraiment important à savoir c’est qu’un éditeur de créations comme nous, nous revendiquons de l’être, ce sont des éditeurs qui prennent des risques, qui créent un catalogue, c’est-à-dire un fonds et qui ensuite distribuent au maximum, l’œuvre de l’auteur. Par la suite, ils doivent défendre bec et ongle jusqu’au bout son auteur, ils ne doivent jamais le lâcher, ils l’accompagnent même dans ses faiblesses, c’est très important. Nous continuons de constituer un catalogue en essayant de garder aux maximum des livres dans le fonds, mais quelques fois, nous sommes obligés de se séparer de certains titres parce qu’ils ne se vendent plus. De ce fait, à un moment, on ne réimprime pas, malheureusement, car les stocks coutent très chers et qu’il faut faire très attention. Quand on signe un contrat avec un auteur, on signe le contrat à partir du moment où l’auteur est d’accord avec ce contrat, on ne l’oblige pas à signer. Une fois qu’il a signé, on respecte tous les termes du contrat jusqu’au bout, que ce soit les droits, les relevés… tout est fait dans la transparence et l’intelligence. À aucun moment j’ai supplié un auteur de signer, d’ailleurs cela se voit. Quand on travaille avec nous, il y a une complicité qui se crée avec un éditeur, ça me paraît logique. S’il n’y a pas cette complicité il ne faut pas travailler avec cet éditeur ou avec cet auteur. On fait un bébé ensemble, quand même, donc on se bat ensemble pour que ce livre soit édité.

DB : Oui c’est un projet commun.

TM : C’est un projet commun absolument. Un partage des risques aussi, de temps en temps. Bien que ce soit quand même l’éditeur qui prenne le plus de risques mais cela fait partie de son métier.


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