C’est avec joie que j’ai pu rencontrer une personne qui exerce le même métier que moi et avec autant d’enthousiasme et de passion. Isabelle Lacombe est graphiste pour la presse et l’édition. Elle travaille aussi bien en interne qu’en externe et aime beaucoup conjuguer les deux. Je suis certaine que vous prendrez autant de plaisir à lire cette interview que j’en ai eu en la réalisant.








Le Monde des ados pendant 6 ans, Fleurus Presse

Le Monde des ados pendant 6 ans, Fleurus Presse

Le Monde des ados pendant 6 ans, Fleurus Presse
Delphine Bourbon : Qu’est-ce qui vous a conduit à devenir graphiste pour la presse et l’édition ?
Isabelle Lacombe : Pour ma part, le chemin a été un peu tortueux : des études de communication et de publicité, une licence d’arts plastiques, un diplôme de design en école d’architecture… je voulais en fin de compte devenir designer et créer du mobilier pour enfant ! Mais il n’y a pas de travail dans ce secteur si on ne sort pas de grandes écoles de design, c’est en tout cas très difficile. Donc c’est un peu par défaut que je me suis tournée vers le graphisme, un choix que je n’ai pas regretté par la suite ! Ce qui m’a amené à la presse et l’édition, c’est l’univers jeunesse. J’étais à l’époque (il y a plus de vingt ans !) très fan des publications du Rouergue : une ligne éditoriale résolument singulière, un graphisme assez inattendu pour les enfants, beaucoup de liberté… Je me suis dit que ce serait absolument fantastique de pouvoir travailler dans une maison d’édition jeunesse, et de participer à la naissance de projets de ce genre ! Puis j’ai pu faire un remplacement sur le magazine Toboggan, chez Milan Presse, c’était génial comme première expérience en la matière ! Ça a confirmé mon envie.
DB : Comment gérez-vous les périodes de bouclage où il y a plus de travail ?
IL : J’essaie de ne pas en avoir plusieurs en même temps ! Un bouclage est toujours une période un peu tendue, mais si le rétroplanning a bien été pensé en amont, ça se vit sereinement. Si l’éditorial travaille suffisamment en avance avec les auteurs, les illustrateurs et que j’ai suffisamment de temps pour maquetter les pages, sauf souci de dernière minute, en général tout se met bien en place. Dans mon dernier poste fixe sur le magazine Le monde des ados, nous bouclions sur deux jours et nous finissions à la mi-journée du deuxième jour vers treize heures. Jamais je ne suis restée le soir pour des charrettes la veille ou l’avant-veille (peut-être parce que nous étions toutes des femmes dans cette équipe et que nous avions toutes une vie en dehors du travail ? C’est une question.) Quoi qu’il en soit, nous avons toujours fait en sorte de finir dans les temps ! Ainsi, le stress se gère bien, même s’il faut effectivement attendre le dernier papier sur l’actu et la dernière photo qu’on doit choisir juste à la fin, puis relire de manière attentive les pages de BAT, vérifier les pages que l’on dépose sur le serveur de l’imprimeur… De toute façon, quelque soit le support, ce qui est primordial c’est de travailler avec une équipe à la fois compétente et bienveillante. Pour moi l’un ne va pas sans l’autre et j’ai déjà travaillé dans des entreprises où ça n’était pas aussi évident humainement et c’est dur (stressant !). Même s’il s’agit des plus beaux magazines ou livres du monde, s’ils doivent être réalisés dans une ambiance tendue, ce n’est pas possible !
DB : Quel a été votre projet le plus marquant et pour quelle raison ?
IL : En freelance, les projets scolaires ou parascolaires sont très enrichissants, extrêmement énergivores mais gratifiants ! En salariée, c’est d’avoir pu travailler sur des projets jeunesse avec des talents comme Marc Boutavant, Cécile Gambini ou encore Rebecca Dautremer. À l’époque, on pouvait encore facilement joindre certains d’entre d’eux, ils n’étaient pas « bookés » un an à l’avance. D’une manière générale, quand on a la chance de travailler avec des illustrateurs de talent, c’est un émerveillement sans cesse renouvelé à la réception des crayonnés et surtout des originaux !
DB : Que faites-vous le plus, de la création ou de l’exécution ?
IL : En général, je prends en charge à la fois la création et l’exécution. Mais il arrive que ce ne soit que la partie création, je pense notamment à un manuel scolaire d’Allemand pour Hachette. Ils m’ont fait confiance pour gérer la création du gabarit et les déclinaisons ; en revanche je n’ai pas fait la mise en page, il fallait une personne qui parle cette langue et donc la maquette a été réalisée par un studio graphique spécialisé dans ce genre d’ouvrages. J’avoue que le côté exécution sans la vision globale du projet m’intéresse moins.
DB : Qu’est-ce qui vous plait le plus dans la création ?
IL : En fait, j’aime suivre un projet de A à Z, de la création jusqu’à la mise en page et la remise des éléments pour la fabrication, en passant par la gestion des illustrations. Concevoir graphiquement un projet permet d’avoir plus de latitude, mais j’aime aussi intervenir en amont quand c’est possible. Être associée à la genèse du projet, dès la commande des textes, c’est le top ! Quand c’est possible je donne donc mon avis aussi sur l’édito… en tout cas quand j’étais en interne au sein d’une rédaction, j’avais cette souplesse-là, de pouvoir intervenir et m’interroger sur le texte. Et inversement, les rédactrices me faisaient leur retour sur mes propositions de maquette si ça ne convenait pas. Ce qui me plait c’est de proposer des solutions graphiques, il y a toujours un défi par rapport à un brief donné, c’est très intéressant, il faut faire en sorte que la mise en page soit la plus lisible, intéressante, percutante possible. Il y a peut-être moins de pression quand il n’y a pas la partie création… Ceci dit, on vous attend « au tournant », gare aux coquilles sur l’exécution ! La presse c’est formateur, parce que c’est rapide. J’ai travaillé sur des mensuels et sur des quinzomadaires, il faut trouver des idées très vite. Deux essais maximum pour définir très rapidement un concept graphique puis il faut se lancer dans la mise en page parce que le bouclage est dans cinq jours !
DB : Quels sont les facteurs qui déterminent le prix de votre prestation ?
IL : Malheureusement je n’ai pas toujours la main là-dessus, même s’il peut y avoir une marge de négociation, il s’agit, la plupart du temps, d’un forfait proposé. À moi d’évaluer le temps que je vais accorder au projet, soit par rapport à un prix à la page soit par rapport à un prix à la journée pour que ce soit rentable. Mais souvent cela dépasse parce que j’aime bien prendre le temps de bien faire…Et de temps en temps il y a des prix très honnête sur des missions où je vais passer beaucoup moins de temps et donc au final ça s’équilibre. Quand on travaille depuis un moment avec un client, on commence à avoir des valeurs de références sur un flyer, une pub ou sur un quarante-huit pages, et là c’est plus simple de proposer un devis. C’est plus dur en scolaire, car souvent entre deux éditeurs la rémunération peut varier du simple au double ! il y en a qui payent très bien et d’autres très mal et il n’y a pas beaucoup de marge de négociation. Il m’est arrivé aussi de refuser un contrat parce que j’estimais que ce n’était pas assez bien payé… C’est un vrai problème, je peux comprendre que certains graphistes acceptent des tarifs bas étant donnée la conjoncture actuelle, mais en conséquence ça devient difficile pour un grand nombre de garder un certain niveau de rémunération, parce que notre travail n’est plus forcément bien reconnu.
DB : Oui, notre travail n’est pas toujours perçu à sa juste valeur.
IL : Oui, techniquement on peut faire de la PAO assez rapidement, apprendre les bases des logiciels et du graphisme puis se lancer… sauf que cela ne fait pas un métier ! Pas aussi vite en tout cas ! Composer et agencer les éléments d’une page, d’une affiche, d’une pub. Choisir les bonnes typos. Proposer une ambiance colorée. Sélectionner les visuels. C’est lié aussi à ce que l’on engrange comme culture graphique, esthétique, plastique… C’est un tout, ça prend du temps, ce n’est pas que de la technique et on se heurte à ça. Mais on se heurte également à des personnes qui veulent nous mettre dans des cases : quand je travaillais sur le magazine Le monde des ados, je relisais le magazine au même titre que la rédactrice en chef, que le reporter ou que la secrétaire de rédaction parce que je pouvais aussi dire à la dernière minute à ma collègue : « Tu ne penses pas qu’on pourrait remplacer ce mot par un autre ? » et de la même manière elle me disait : « Faits attention, j’ai l’impression que ce bloc est un peu trop court. » Etc. Donc c’était un double regard très constructif et chacun ne restait pas dans son métier à proprement parler.
DB : Un vrai travail d’équipe.
IL : Oui. C’est beaucoup mieux d’avoir cette vision globale. Sauf que cet état d’esprit n’est pas très répandu ! Et c’est vrai qu’entre les gens qui pensent être graphistes parce qu’ils ont fait trois mois de Photoshop et d’InDesign et les chefs d’entreprise qui choisissent les intervenants extérieurs uniquement par rapport au prix proposé (évidemment le plus bas possible), il faut s’accrocher ! C’est vraiment là qu’il faut se dire que nous apportons un plus, et se positionner ainsi fermement, grâce à l’œil et l’expérience.
DB : Quels problèmes ou difficultés avez-vous déjà rencontrés sur une mise en page, que ce soit au niveau technique directement lié à la mise en page ou au niveau de la gestion du projet et du process de réalisation ?
IL : Je n’ai pas d’exemple en particulier, mais souvent, le problème peut venir d’un brief qui n’est pas assez cadré et détaillé. Si le client reste flou dans ses attentes, ce sera d’autant plus difficile de répondre précisément à sa demande… Un bon brief = un bon projet !
DB : Pouvez-vous me parler de vos projets ?
IL : Actuellement ce sont des projets en marketing, pour une maison d’édition parascolaire, en fait, je ne suis jamais très loin de la jeunesse. Mais comme j’aime découvrir de nouveaux horizons, je travaille aussi en presse adulte sur des revues comme Le Monde des religions. J’ai choisi de rester ouverte à d’autres opportunités, parfois même de travailler en CDD sur site, parce que j’ai la chance de faire un métier qui peut s’adapter à beaucoup de supports ! Comme j’aime autant travailler pour la presse que pour l’édition, j’alterne les deux statuts : salariée en interne et freelance (l’année dernière pendant six mois j’ai effectué un remplacement dans une entreprise, puis je suis retournée dans un groupe de presse en début d’année).
DB : Pouvez-vous me parler de vos illustrations personnelles ?
IL : C’est ma petite fenêtre de liberté, sans contrainte, pour le plaisir de réaliser quelque chose de mes mains et de délaisser un temps les écrans ! Je viens de terminer une commande pour Emmaüs Solidarité et j’en suis très fière. C’est la première fois que je ne gère pas la maquette mais uniquement l’illustration. J’espère pourvoir évoluer de ce côté-là… !
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