Avec pas moins de sept livres publiés à son actif, dont trois pour les enfants atteints de dyslexie et deux nouveaux ouvrages pour 2023, Georgina Tuna Sorin, écrit aussi bien des romans jeunesses, des livres pour adultes et des nouvelles. Journaliste de formation, elle n’hésite pas à se faire aider par des professionnelles du métier (bêta-lecteur, correctrice, maquettiste…) pour que ses livres soient de grandes qualités. Je vous invite à découvrir cette interview qui vous confirmera que l’auto-édition est un projet sérieux.

Delphine Bourbon : Comment de journaliste, êtes-vous devenue écrivaine ?
Georgina Tuna Sorin : C’est une question à laquelle je n’ai pas de réponse précise, c’est même compliqué pour moi d’y répondre. Je dirais, naturellement ? En y réfléchissant, l’écriture fait partie de chacun de nous et se matérialise sous différentes formes. Tout est prétexte à écrire : un article, un post-it, quelques lignes sur un carnet… Évidemment, mon métier n’était pas choisi par hasard non plus. J’écrivais quotidiennement, car même à la radio, le journaliste écrit son texte avant de l’enregistrer. Mais relater des faits et imaginer puis écrire un roman sont deux choses très différentes. Il suffit parfois d’un déclic. Le mien m’est venu lorsque je racontais l’histoire du soir à mes filles. Pas de livre en support, simplement notre imagination et un fil rouge : une héroïne qui évoluait au gré de nos idées, de nos envies. À travers les péripéties que nous lui réservions, nous écrivions, déjà. Avec notre bouche.
Je vois un parallèle entre ces deux métiers : cette curiosité de creuser un sujet, de trouver des sources fiables pour donner l’information la plus précise sur le thème abordé. En revanche, l’écriture de fiction permet de sortir du côté objectif d’une information. Lorsque j’écris un roman, une histoire, cette information me sert de base. Je l’investis ensuite à travers le prisme de mes expériences, de mes ressentis. Ou de ce que j’ai pu observer chez les gens ou des situations qui m’entourent, qu’ils me soient proches ou non. L’écriture est plurielle, ne dit-on d’ailleurs pas que tous les sujets ont déjà été traités, mais pas du point de vue d’un auteur qui le traite pour la première fois ? L’écriture de fiction m’offre une liberté que je n’avais pas en tant que journaliste, et c’est heureux. J’aime les deux façons d’écrire, elles revêtent des objectifs bien différents.
DB : Vos livres sont édités en auto-édition. Pourquoi avoir choisi de vous éditer ?
GTS : En réalité, je n’écrivais pas dans l’optique de publier mes écrits. J’étais dans une période de transition professionnelle, j’ai commencé à écrire mon premier roman (non publié à ce jour) un peu par hasard. J’écrivais pour mes filles, comme un cadeau pour elles, qu’elles transmettraient peut-être un jour à leurs propres enfants. Mais l’idée de partager ce manuscrit à d’autres n’était pas dans mes projets. Seuls mon mari et mes filles savaient que j’écrivais. J’écrivais jour et nuit, difficile de le leur cacher. D’ailleurs, j’ai mis plusieurs mois — peut-être même plus d’un an — à mettre mes proches dans la confidence. C’est eux qui m’ont poussée à les publier.
Ma vision de l’édition était assez binaire : l’édition traditionnelle ou l’édition à compte d’auteur. Pour moi, à l’époque, l’autoédition entrait dans la deuxième catégorie et donc pas une option. Puis je suis tombée par hasard sur une interview de Charlotte Allibert (l’une des fondatrices de Librinova) à la télévision et je me suis penchée sur la question. Je ne me sentais pas capable à l’époque de gérer tous les aspects de la publication seule, Librinova m’a semblé la meilleure solution, je publie d’ailleurs toujours les versions numériques de mes romans chez eux. L’autoédition m’offre une liberté à chaque étape, je garde la maîtrise de mon rythme d’écriture et de publication. Je ne dis pas que je ferme la porte à l’édition traditionnelle, mais pour l’instant ça me convient.
DB : Vous écrivez des romans jeunesse, des livres pour adultes et des nouvelles. Pourquoi autant de diversité ?
GTS : Encore une fois, l’autoédition me permet cette liberté. J’écris en fonction de mes envies, de mon inspiration du moment. Et encore, vous ne savez pas tout à propos des manuscrits qui dorment dans mes tiroirs. Certains y resteront et c’est pour le mieux (rires).
DB : Vous m’aviez dit qu’en édition jeunesses on avait encore moins le droit à l’erreur que pour un livre pour les adultes. Pourquoi pensez-vous cela ?
GTS : J’estime que la publication d’un roman à destination d’un public jeune s’accompagne d’une obligation morale de faire les choses (très) bien. Le public concerné par ma série La vie rêvée de Lily entre tout juste dans la lecture. Or, on sait que la lecture permet de construire sa connaissance de la langue, d’enrichir son vocabulaire. Je ne m’octroie aucun droit à l’erreur, je passe un temps infini à relire, à corriger. Je le confie à plusieurs bêta-lecteurs, je fais appel à une éditrice free-lance pour revoir mon texte et il passe ensuite entre les mains de deux correctrices. Puis je le relis à nouveau. Il est essentiel à mes yeux d’offrir une copie irréprochable. C’est le cas pour tous mes romans, bien sûr. Mais plus encore pour ceux-là.
J’ai fait le choix d’un premier tome très accessible tant dans la construction que dans le vocabulaire ou encore dans le choix des thèmes abordés. J’augmente la difficulté à mesure des tomes parce que j’ai constaté à travers mes filles qu’une fois accrochées à l’histoire, elles étaient plus enclines à accepter de buter sur un mot, à devoir chercher ou demander sa signification. Dans les premiers tomes, je pose également les bases d’un thème important à mes yeux : le harcèlement scolaire. Dans le tome 4 à paraitre, le sujet est abordé frontalement (toujours avec tact, mais de façon directe), le mot est posé également. J’ai choisi de procéder ainsi car dans la vraie vie, c’est aussi comme ça que les choses évoluent, souvent.
DB : Vous ne travaillez pas seule sur vos livres. Pourquoi est-ce important pour vous d’avoir des yeux extérieurs sur votre travail (bêta-lecteur, correctrice, maquettiste) ?
GTS : C’est plus qu’important : c’est indispensable. On a beau lire, relire son texte des dizaines de fois, notre regard n’est pas objectif. Même après plusieurs mois de repos, l’auteur n’a pas, à mon sens, assez de distance avec son propre texte. Parce qu’on sait ce qu’on a voulu dire, où on veut emmener le lecteur. Pour moi, la bêta-lecture, la correction professionnelle sont des étapes dont on ne peut (doit) pas faire l’économie. D’ailleurs, j’ai la chance d’avoir une équipe de bêta-lecteur très hétéroclite. Chacun s’attache à un secteur différent naturellement. J’ai la traqueuse de répétitions, le radar à incohérences. Un autre qui va s’attacher plus à la forme qu’au fond, une autre qui se focalise plus sur la psychologie des personnages. Je fonctionne via un fichier partagé que chacun commente. C’est très intéressant car ça donne lieu à des discussions entre bêta-lecteurs, parfois même des débats, je suis riche de tous leurs échanges, le texte en ressort grandi. Et en recoupant tous ces retours, cela me permet de peaufiner le texte avant de le transmettre à la correctrice. À priori, elle reçoit des fichier « propres ». Et c’est très bien. Je ne vais jamais chez le dentiste sans me laver les dents. Ça n’empêche pas qu’il faille quand même un bon détartrage (rires).
DB : Pour vos livres jeunesse, comment travaillez-vous avec votre illustratrice ?
GTS : Assez simplement : je lui donne carte blanche ! J’ai la chance que Korrig’Anne accepte de lire le manuscrit, cela lui permet de s’imprégner de l’histoire. Je pourrais lui donner des directives, mais ce n’est pas ma vision des choses. Si un thème me semble important, je le lui dis, plus comme une suggestion mais je reste ouverte à sa vision du texte. Anne est très talentueuse, je l’ai sollicitée car j’étais sensible à son travail, à son trait. Bien sûr on peaufine un ou deux détails notamment pour la couverture, mais elle vise juste à chaque fois. J’adore travailler avec elle, et lui donner carte blanche est à mes yeux une question de respect vis-à-vis de son travail créatif.

DB : Que faites-vous pour promouvoir vos livres et où sont-ils en vente ?
GTS : (rire) Sûrement pas assez ou pas correctement en tout cas. En général j’établis un rétroplanning que je finis toujours par… ne pas respecter. C’est tout moi : dès qu’on m’impose un cadre, je ne cherche qu’à en sortir. Parfois, je réalise une bande-annonce — un booktrailer — parce que j’aime le montage, la recherche de la musique parfaite, des images et vidéos qui collent parfaitement à l’ambiance du roman. Mais cela prend beaucoup de temps et coûte cher.
Je communique essentiellement via mes réseaux sociaux, je propose une prévente sur ma boutique en ligne avec un goodie spécial lancement. Pour ma romance de Noël par exemple, les 50 premiers ont reçu un stylo en métal avec une tête de renne. Trouver le goodie parfait prend du temps et demande un investissement financier, mais j’aime tellement faire plaisir à mes lecteurs ! Je ne viens jamais les mains vides en salon ou séance de dédicace, j’aime les remercier d’avoir fait le déplacement ou de s’être arrêtés à ma table. En résumé, la promotion se fait quasi exclusivement en ligne (j’ai également une publicité Facebook qui tourne).
Mes livres sont en vente presque partout. En ligne, chez les libraires (sur commande). C’était important pour moi d’être disponible en librairie physique également.
DB : Si une maison d’édition vous proposait d’éditer tous vos livres, le feriez-vous ou continueriez-vous en auto-édition et pourquoi ?
GTS : Je crois que le fait d’abandonner mes droits m’effraie, surtout pour un contrat « classique » : jusqu’à 70 ans après ma mort. Je le trouve très déséquilibré et c’est rédhibitoire pour moi. Pour que je saute le pas, il me faudrait un délai plus court et surtout surtout, que ce partenariat (c’est ainsi que je le vois) offre une réelle plus-value à mon ou mes romans. En premier lieu éditoriale, mais aussi en termes de diffusion. Comme je l’ai dit plus tôt dans cette interview, je ne ferme pas la porte à l’édition traditionnelle, mais je ne cours pas après.
DB : Quels sont vos projets ?
GTS : J’en ai toujours beaucoup en tête et sur le feu. Je termine la première phase de relecture/correction sur le tome 4 de ma série jeunesse, j’ai également déjà terminé tout le travail éditorial de mon roman 2023, il faut que je m’active pour la couverture (que je confie à une graphiste professionnelle). Et j’ai des idées pour 3 autres romans. En général, j’écris peu en phase de lancement d’un roman, je couche mes idées sur papier, j’écris quelques scènes ou dialogues. Mes romans, je les écris généralement en hiver, entre le mois de décembre et le mois d’avril. Sauf quand j’écris en dehors de cette période. Ma seule règle est de ne pas m’en imposer (rires).

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